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Canadian Urbanism Uncovered

De la mixité à Montréal (1ère partie)

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Une scène typique de la rue Ste-Catherine, en face d'un centre d'art contemporain, à deux pas de l'église St-James
Une scène typique de la rue Ste-Catherine, en face d'un centre d'art contemporain, à deux pas de l'église St-James

D’aucun ne s’étonnerait, qui a vécu à Montréal plusieurs années, de se retrouver face à un club de danse érotique sur une rue commerciale du centre-ville entre une banque et une église, en face d’une garderie ou d’un bureau d’avocat. En fait, une telle scène sur la rue Sainte-Catherine serait d’une telle banalité qu’elle ne ferait sourciller personne – personne d’autre que les “passants honnêtes” de Georges Brassens, venus magasiner au centre-ville depuis quelque faubourg bien-pensant.

C’est vrai, la diversité des gens, des genres, des modes de vies et des formes fait partie intégrante de toute ville cosmopolite. Mais la mixité va au-delà de la diversité: c’est la cohabitation (forcée ou volontaire, fortuite ou planifiée) de personnes, d’activités ou de bâtiments disparates dans un même espace. Et c’est cela, à mon avis, qui distingue Montréal de nombreuses autres métropoles: on ne fait que parler de différence et de contraste, ici, on y est constamment confronté.

La mixité des formes et des usages à Montréal est d’autant plus frappante qu’elle contraste en tout point avec la monotonie harmonieuse de ses premières banlieues bourgeoises. En effet, autant le laissez-faire et le laissez-vivre semblent avoir le dessus dans le Quartier latin et les autres quartiers centraux, autant l’homogénéité, la propreté et le conformisme règnent sur Westmount, Outremont et Ville-Mont-Royal. Il est vrai que la récente descente de la police à la SAT pour cause de « bruit » apporte une certaine nuance à cet catégorisation un peu caricaturale du Montréal « sale » et du Montréal « propre ». Mais il reste qu’on ne peut pas confondre la rue Ste-Catherine ou la rue Ontario avec la rue Bernard ou l’avenue Greene – ai-je besoin d’en dire plus?

Basha + Pussy Corps
Là où le Basha et le Pussy Corps font bon voisinage

Cette différence marquée entre les anciens quartiers de St-Henri, Ste-Marie, St-Jacques, St-Louis et St-Jean-Baptiste et les « banlieues-tramway » du pourtour de la montagne n’est bien sûr par le fruit du hasard. Il plaît à l’esprit de croire que Montréal (comme toute les villes!) se serait développée de manière « organique », telle une plante répondant aux stimuli de son environnement, et que la forme bâtie si riche en contrastes qui est la sienne serait le produit de la lente accumulation de petits gestes anodins. Mais comme beaucoup des idées qui plaisent à l’esprit, cette conception de l’évolution de la forme urbaine est en grande partie erronée.

Il est indéniable qu’il a existé à Montréal (« ville ouverte ») un certain laxisme, voire une certaine complaisance de la part des autorités municipales quant à la réglementation des usages « incongrus » (tels les maisons de débauche, les manufactures dans les quartiers résidentiels, les logements en bordure de chemins de fer, etc.). D’ailleurs, comme le fait remarquer le professeur en urbanisme Raphaël Fischler, Montréal a adopté son règlement de zonage de manière graduelle, de sorte qu’il n’y a pas eu de règlement d’ensemble avant 1992 – alors qu’à Toronto on avait déjà banni les maisons collectives (« tenement housing ») sur tout le territoire de la ville dès 1912.

Mais ce laxisme des autorités municipales n’est pas, lui non plus, fortuit. C’est du moins l’analyse que fait Jean-Pierre Collin de l’évolution de la réglementation en urbanisme dans certains quartiers populaires et banlieues de Montréal entre 1871 et 1921. Il compare, dans sa thèse de maîtrise, l’évolution de la réglementation dans les quartiers ouvriers de St-Henri et Maisonneuve et dans les banlieues bourgeoises de Verdun, Westmount et Outremont et malgré certaines similitudes, les divergences sont claires, nettes et précises.

On en déduit à la lecture de ce document fascinant (datant de 1982) que Montréal est devenue ce qu’elle est parce que les promoteurs et les commerçants y ont toujours eu le gros bout du bâton – c’est-à-dire que la réglementation en urbanisme y a été adoptée soit en réaction à des problématiques spécifiques (et donc de manière ponctuelle), soit carrément (et sans aucune gêne) pour « élargir le champ d’activités » des entrepreneurs, commerçants, promoteurs et autres investisseurs. « L’enjeu politique principal pour les élites locales à Saint-Henri et Maisonneuve, c’est la mise en valeur d’un capital foncier […]. Cela implique parfois l’adoption de mesures actives d’aide aux lotisseurs et aux investisseurs. Mais surtout, il en découle que la réglementation municipale se doit d’être […] malléable, ouverte aux compromis et à la diversité, capable d’adaptation et, autant que faire se peut, non contraignante. » (p.193).

À Westmount et Outremont, on l’aura compris, c’est tout le contraire: tout y est réglementé (dès le début du siècle), depuis la largeur des lots et la ségrégation des usages jusqu’à la mendicité, le ramassage de chiffon (!) et la vente d’alcool. C’est donc dire que la volonté d’urbanisme à Montréal est une chose récente, mais qu’elle est apparue très tôt là où se sont établies les élites économiques de la cité. Cela est tout à fait compréhensible, vu le contexte historique, mais je ne peux pas m’empêcher de souligner l’ironie de la chose: ceux-là même qui ne voulaient pas de règlements pour pouvoir faire des affaires à Montréal militaient pour que leur propres milieux de vie soient réglementés… un peu comme les pays industrialisés qui prêchent le libre marché dans les pays pauvres, mais érigent en même temps des barrières tarifaires pour mieux se protéger.

Quoiqu’il en soit, je dois avouer que je ne suis pas mécontent du résultat: Montréal a hérité non pas d’une seule forme urbaine, mais bien de plusieurs formes urbaines qui se côtoient et ne se ressemblent pas toujours. Parfois on a l’impression d’être à New York, parfois à Québec, parfois à Drummondville (et oui, à Drummondville!). Il y a donc non seulement mixité dans le cadre bâti du centre-ville et de certains quartiers, mais aussi cohabitation à plus grande échelle de quartiers aux formes distinctes, aux trajectoires tangentielles.

Je crois qu’on peut aimer la cohue du centre-ville et l’étrangeté du Mile-end tout en sachant apprécier le calme et la beauté des rues d’Outremont à l’automne, les pieds dans les feuilles, au pied du Mont-Royal. C’est ça Montréal.

Pour ceux que ça intéressent, la référence du dit document:

Collin, Jean-Pierre. 1982. “Pouvoir municipal et enjeux politiques locaux dans la paroisse de Montréal, de 1871 à 1921.” Mémoire présenté à l’UQAM comme exigence partielle e la maîtrise en Science politique.

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4 comments

  1. Excellent analyse! Merci pour ce synthèse – il me semble qu’il existait aussi un règlement à Outremont en quoi que deux personnes de sexe opposée ne pouvaient pas habiter sous le même toit, avec l’exception fait pour les doméstiques, bien sûr. Je crois avoir lu d’ailleurs que l’élimination de ce règlement a été au genêse des principes anti-discrimination canadiens (le cas échéant, le statut marital). Est-ce que vous en sauriez quelque chose ?

  2. Est-ce que Verdun était vraiment une “banlieue bourgeoise” auparavant ?

  3. Verdun n’était pas bourgeois, par contre c’était une ville au régime sec. Un peu bizarre au Québec…

    La ville de Maisonneuve était planifiée et avait des ambitions de grandeur. Maisonneuve est la partie plus à l’est d’Hochelaga-Maisonneuve. Malheureusement, la très belle église de ce quartier et ancienne ville est fermée et en danger de démolition. Vous pouvez également constater la beauté du Marché public, de la Bibliothèque (autrefois Hôtel-de-Ville de Maisonneuve), des Bains publics etc.

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