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Canadian Urbanism Uncovered

Queue leu leu et autres incivilités

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Constamment, des lignes humaines se superposent plus ou moins longuement à celles de la ville. Des traits continus à peine brisés qui surprennent par leur droiture autant physique que morale. Un idéal de civilité?

Les lignes pour attendre l’autobus à Montréal me fascinent. Je précise «à Montréal», car je ne vois pas ça partout. À Toronto, et c’est probablement aussi en raison du fait qu’on prend le tramway au milieu de la rue, mais je n’ai jamais vu de queue leu leu. Plutôt des troupeaux. Même chose à Paris (vous avez d’autres exemples?). À Montréal, comme dans d’autres villes, il y a une règle non-écrite puissante qui prolonge parfois le trait humain au delà du prochain coin de rue, en zigzag. Tout sauf un attroupement. Même pas d’inoffensifs deux par deux (à moins qu’ils se connaissent). Si le bus est en retard et que la ligne s’éternise, cette «politesse» peut devenir complètement absurde.

Mais pourquoi! Les rangs à la fin de la récréation chaque jour du primaire nous ont-ils conditionné? David Maister, grand spécialiste de la psychologie de la file d’attente (oui, oui), a analysé en profondeur les différents effets liés à poireauter en ligne. Une de ses observations est que les gens ne parlent rarement l’un avec l’autre, à moins d’un retard important ou d’une annonce faite. Une excuse pour échanger, se « réconforter ». Comme lorsque l’on voit passer pour une Xe fois un autobus « hors service » et qu’on échange un regard complice à notre voisin en souriant (preuve qu’il n’y a pas qu’une cigarette fumée à l’extérieur d’un bar qui agisse comme lubrificateur social!).

Une autre de ses conclusions est que plus une ligne est équitable, moins elle semble longue. Tout le contraire d’une clinique sans rendez-vous au Québec. Ou bien d’une visite chez Mcdo (moi je n’y vais jamais, mais une connaissance m’a raconté… ;-). Peu importe lequel, il y a toujours plusieurs files. Premier défi: évaluer rapidement laquelle sera la plus rapide. Tu en juges en fonction du nombre de personnes, de la grosseur de leur… appétit, de l’épinglette «en formation» de la caissière de droite, etc. Évidemment, tu te trompes une fois sur deux et s’en suit un très profond sentiment d’injustice. « J’étais là avant!!! », hurlé par en dedans. Maister précise que c’est le fait d’être agité et frustré en patientant qui nous donne l’impression que le temps est lent. Alors plus l’attente est équitable, comme dans les rues de Montréal, plus elle peut être perçue comme courte. Parfois, être devant ou derrière la file n’a pas vraiment d’importance lorsqu’on attend l’autobus, mais souvent, c’est la différence entre être assis ou debout ou entre prendre le prochain autobus ou le suivant. Ou bien l’autre.

La droiture des queues leu leu de notre ville serait-elle donc non seulement une preuve du civisme de ses habitants, mais également celle d’une compréhension innée de ses implications psychologiques? Improbable. Parce qu’à quelques pas de la bordure du trottoir, cet idéal est rompu. Le chacun son tour succombe au chacun pour soi. Est-ce l’anonymat provoqué par la cage de taule et de verre qui révèle la vraie nature du Montréalais? En piéton, on veut sauver la face, et en voiture on coupe sans arrêt notre prochain en espérant que personne ne la reconnaîtra… Vous êtes déjà allé à Vancouver? Ou à Victoria? Tu mets un pied dans la rue et un dix roues roulant en ta direction freine abruptement inextrémis en te faisant un beau sourire et quelques signes courtois alors que tu n’avais évidemment aucune intention de traverser la rue avant lui / de te suicider. Pour un Montréalais, c’est troublant. Ici, si tu as la malchance d’avoir à traverser une rue achalandée ou il n’y a pas de signe d’arrêt, il faut être soit très patient ou un peu casse-cou.

Queue leu leu en piéton et incivilités derrière le volant. Qu’est-ce que ça dit sur nous?

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9 comments

  1. Réflexion intéressante. J’ai toujours pensé que cette habitude appréciée était un héritage de l’époque de l’occupation anglaise: ça se fait en Angleterre aussi.

  2. Le plus drôle, ce sont ces lignes tracées au sol du Terminus Centre-Ville…

    Quand j’ai des amis qui viennent visiter depuis la France, je me fais un point d’honneur de les y amener, et ils n’en reviennent tout simplement pas que les gens fassent sagement la queue comme ça…

  3. @ Willem: Pas fou. Faudrait voir dans le reste du Canada, mais ce n’est pas ce que j’ai observé à Toronto…

    @EMDX: En effet! J’aurais dû aller les prendre en photo. ;-)

  4. J’aime bien la réflexion sur les normes sociales Jonathan. Au lendemain de l’ouverture du métro en 1966, les journaux notaient déçus que le comportement d’attente des voyageurs malheureusement différait de leur discipline exemplaire pour l’autobus. 

    Fonctionnellement, la file la plus efficace à l’épicerie ou la banque est celle simple qui se distribue à la fin. 

  5. Et oublie même d’essayer de marcher l’autre bord de la rue à un passage clouté (“crosswalk”). C’est jaune les lignes mais c’est définitevement suicide.

  6. C’est drôle, j’ai grandi à Ottawa et là-bas, tout le monde attend l’autobus un peu comme ici on attend le métro: un peu partout, assis, debout… et quand le bus se pointe, on entre!

    Ça fait une douzaine d’années que j’habite à Montréal et je trouve toujours ça drôle de voir les gens faire la queue pour l’autobus.

    Il faut dire que le bassin de population est tout de même plus important ici que dans l’Outaouais; si la ligne est longue, il est fort possible de ne pas avoir de place avant le prochain autobus… À moins que ça ne soit le service de l’OC Transpo qui soit plus efficace que celui de la STM? ;-)

  7. Cette particularité Montréalaise est tellement agréable ! Pas de stress, pas de bousculade : premier arrivé, premier servi !  Ca évite bien des frustrations.
    A se demander pourquoi c’est pas comme ça partout.

    Pour ce qui est du civisme des automobilistes, j’ai été surpris de voir qu’a Boston ces derniers s’arrêtent tout naturellement pour te laisser passer quand tu traverses sur la rouge… C’est presque un peu trop !

  8. C’est pas si clair en fait. Il y a des avantages avec le queue, mais aussi avec le troupeau. Des fois, en fait, le troupeau est plus juste parce que les gens vont naturellement laisser passer avant les agés, les handicapés, les femmes, et les femmes avec bébés. Ici, avec la file d’attente les gens aiment ignorer en fait qu’il y a des fois les gens qui ont plus besoin d’embarquer d’abord. Cette idée que c’est plus équitable la ligne n’est pas tout à fait vrai,et des fois c’est tout à fait le contraire. Ça peut donner l’impression de civilité, mais je trouve que ça démontre comment les Montréalais ont tendance à penser à eux même, et très rarement les besoins des autres. 

  9. Très bon point Marke! Je crois que la queue leu leu reste tout à fait équitable dans l’optique “premier arrivé premier servi”, qui prime en général. Mais en effet, elle ne l’est plus si on ajoute la dimension “femme enceinte”. En revanche, je crois que cette partie manquante de ce qui est juste est rétablie (ou du moins, elle devrait l’être dans l’idéal), une fois à l’intérieur de l’autobus au moment où quelqu’un cède sa place à une personne âgée. Mais encore là, on a besoin d’une petite affiche pour nous le rappeler. Et bien souvent, ce n’est pas suffisant…

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