La langue française est géniale pour sa capacité de donner un seul nom pour décrire un collectivité d’arbres, une capacité que l’anglais n’a pas. Lachenaie, par exemple — même si on pense plus à la municipalité qu’au chêne, d’où vient le mot — indique une chênaie, l’endroit où pousse une concentration de chênes. Même chose pour une prûcherie ou une érablière. En anglais, par contre, on est obligé d’utiliser deux mots ou plus pour parler d’une oak forest, a grove of tamarack or a sugar bush.
Mais, lorsqu’il s’agit d’une arbre qui n’est pas indigène dans un pays francophone, comment la langue s’adapte-t-elle aux arbres exotiques? Je me suis posée la question cette semaine en marchant dans le Cimetière mont Royal ou l’arborophile de Côte-des-Neiges, Charles, m’a présenté à la plus importante concentration de ginkgos que j’ai jamais vue. Il y en avait une quinzaine directement en bas de la côte que descends du sommet d’Outrement vers l’entrée du cimetière. Alors, peut-on parler d’une ginkoière, une ginkaie ou, peut-être un ginkerie? À vous de décider.
En fait, du point de vue linguistique, le ginkgo (Ginkgo biloba) est intéressant. Le nom ginkgo, en charactères chinois, vient des mots gin, qui veut dire argent, et kyou, qui veut dire abricot. Biloba, par contre, est le mot latin indiquant des deux lobes de la feuille que vous verrez dans la photo suivante. Si vous regardez bien, vous verrez également des grappes de fruits sur cette ginkgo femelle. Oui, les ginkgos sont dioques: chaque arbre est soit mâle soit femelle.
Les ginkgo-esses sont plutôt rares à Montréal à cause du fait que ses beaux petits fruits sentent le vomit une fois tombé par terre. Pourtant, à l’intérieur de la chair nauséabonde on trouve, dans son écaille, une graine hautement valorisée pas les asiatiques pour son goût et ses qualités médicinales. Mais, attention, il faut bouillir ou griller la graine avant de la manger. Sinon, le fruit est légèrement toxique. En plus, vaut mieux porter des gants de caoutchouc pour enlever la pulpe autour de la graine car l’acide butyrique qu’elle contient peut irriter la peau.
Heureusement, les horticulteurs du Cimetière mont Royal n’ont pas peur de l’odeur des fruits du ginkgo et si vous voulez essayer les graines de ginkgos, c’est le bon moment pour la récolte. L’année semble exceptionelle; les branches débordent du fruit! Vous pouvez également recolter les feuille qui, séchées et bûes en tisane, sont réputées aider la mémoire et améliorer la circulation sanguine. Une autre ginkgo-esse que je connais se situe sur la rue McTavish au nord de la rue Sherbrooke, dernier ginkgo dans un alignement de plusieurs.
La plus vieille ginko-esse de ma connaissance se trouve sur ave. Dr. Penfield à l’ouest de la rue Peel. Plantée dans les années 1890s au moment de la construction de la maison James Ross du Golden Square Mile, cet arbre magestueux est parmi les plus vieux ginkgos de Montréal. Un mâle de la même époque se trouve près du coin nord-ouest du Parc La Fontaine. Mon amie Marie passe à côté de cet arbre quand elle descend en ville par la piste cyclable et elle affirme d’entendre le chuchotement de ses feuilles lorsqu’elles tombent en automne.
Il ne faut pas oublier n’en plus le vieux couple de ginkgos, un mâle et une femelle, l’un à côté de l’autre, qui veillent depuis plus d’ un siècle sur le Parc Joyce à Outrement.
Pourquoi vénère-t-on tant cet arbre qui est sur Terre depuis 260 millions d’années. A part sa beauté, sa curieuse feuille et son fruit particulier, c’est peut-être sa capacité d’avoir survécu à travers, par exemple, des changements climatiques bien plus importants que ceux que nous vivons et que nous viverons. Peut-être, quelquepart, on sent un sage, un professeur, une présence qui pourrait nous inspirer à une vision plus ancienne, plus profonde que nos icônes actuels.