C’est dur à croire que cet arbre, si distingué en hiver par ses longues gousses frisées qui crépitent dans le vent, soit le même arbre si délicat au printemps et en été avec ses maintes petites folioles ovales qui tournent en or à l’automne et couvre les trottoirs d’une poussière dorée. Mais le févier épineux (honey locust, Gleditsia triacanthos) est un arbre trompeur. Arbre fétiche de ville, bien aimé pour son ombre légère, sa rapidité de croissance, et sa tolérance au sel et au sol compacté, il compte parmi les “top 10” des arbres plantés par la Ville de Montréal. Une plantation particulièrement bien réussie du point de vue esthétique se trouve des deux cotés de la rue Papineau en montant vers le boulevard Henri-Bourassa. Grands et élégants, la canopée des deux alignements se touchent presqu’au milieu de cette grande artère.
Alors, malgré ses apparences délicates, ce févier est résistant. Et, en contraste avec la délicatesse de ses feuilles, ses fruits sont imposants, longs, frisés et coriaces. Une belle décoration pendant la saison des grands cieux. Un instrument énergique de percussion à écouter pendant la saison des grands silences. Et, de la nourriture pour les animaux pendant la saison des grandes pénuries.
Étrangement, cet arbre si bien adapté aux conditions d’une ville du nord-est du continent n’est pas indigène du Québec. Dans son habitat naturel, il occupe la forêt Carolinienne, surtout au sud des Grands lacs, dans les états de New York, Ohio et Pennsylvanie et les Carolines, mais il en existe quelques-uns de la forêt de l’extrême sud-ouest de l’Ontario.
Il faut que je précise ici que le févier épineux n’est pas un arbre de l’intérieur de la forêt étant donné son intolérance à l’ombre, mais un arbre des marges de la forêt. Ce qui explique en partie son autre trait étonnant, ses épines. Comme son nom l’indique, févier épineux, la plupart des arbres de cette espèce, à l’état sauvage son couverts d’épines de sept centimètres de longueurs et suffisamment piquantes et rigides pour avoir été utilisées en tant que clous par les premiers colons. Regardez-les sur ce spécimen qui se trouve sur la rue Université, entre les rues Milton et Prince Arthur. Ce n’est pas pour rien que le plupart des féviers plantés sont des cultivars sans épines. On peut bien imaginer les poursuites judiciaires de monde empalé par ces arbres armurés.
Mais, pourquoi toute cette protection? Etant exposé, à l’extérieur de la forêt, il fallait que le févier se défende des énormes mammifères d’il y a 10,000 ans, tels que les mammouths, les paresseux géants,etc., qui cherchaient à brouter les tendres feuilles ou à manger ses gousses si sucrées. En fait, la raison pour laquelle son nom en anglais parle du miel, c’est à dire le honey locust, s’explique par le gout mielleux des tissus autour des fèves à l’intérieur des gousses. Si les mammifères géants — et petits, même les écureuils sont repoussés par les épines — étaient privés de ce plaisir, le févier favorise par contre les bêtes de petits poids, comme les insectes, qui profitent du nectar et pollen sucré de l’arbre, et des oiseaux qui non seulement trouvent de la nourriture mais également de la protection pour leur nids.
D’autres endroits où trouver des féviers épineux, qui sont encore épineux, sont le Parc La Fontaine et un coin en face du magasin Home Depot de la rue Beaubien. Je n’en dis pas plus. À vous de découvrir ces anciens parmi nous. Si vous en trouvez sans gousses, il s’agit d’un arbre mâle.
Tristement, à mon avis, on plante surtout des arbres mâles pour éviter d’avoir des “dégâts” causés par les fruits tombés par terre. Pour moi la question de fruits ou sans fruits dans nos arbres touche la question: Est-ce qu’un arbre est un être vivant qui sert à répondre aux besoins variés de plusieurs autres êtres vivants, y compris, à sa propre continuité? Ou, est-ce que ce n’est qu’une décoration, un parasol pour nos rues et jardins?
2 comments
Merci, ça faisait environ un an que je me demandais quel était cet arbre piquant de la rue Beaubien. J’ai souvent fait un détour dans mes promenades pour le montrer à des amis.
Emma, Je suis contente que vous connaissez le févier (réelement) épineux de la rue Beaubien. J’aime tellement l’ironie du fait que cet arbre avec ses défenses exagerés qui parlent d’un autre époque biologique de notre coin de la Terre soit un face d’un des espèces de mammouths de notre époque: la grande surface.