On se plaint souvent qu’au plan politique Montréal est otage d’un certain immobilisme. La ville est confrontée avec une foule de défis auxquels il faut faire face. On se débrouille, mais on ne brille pas. À l’ère des changements climatiques et alors que le pétrole à bon marché sera bientôt chose du passé, on a de la misère à passer à l’action pour adapter nos villes à ces nouvelles réalités. Pour chaque réussite, il y a plusieurs dossiers qui trainent pendant des années.
On reproche nos élus de manquer de vision et d’audace. Bien entendu qu’il y a une responsabilité d’action, mais il reste qu’il y a des problèmes systémiques qui encouragent nos élus à préférer le statu quo. Un example très révélateur est la réponse médiatique à certaines propositions de la nouvelle administration de mon arrondissement, le Plateau Mont-Royal. Tout récemment, des événements sont survenus qui ont fait ressortir les pressions extrêmes contre lesquelles les élus doivent faire face s’ils veulent rompre avec le business as usual.
L’année dernière, notre arrondissement a fait les manchettes en portant au pouvoir une équipe complète d’élus de Projet Montréal. Ce faisant, le Plateau-Mont-Royal est devenu le premier arrondissement à être géré par cette jeune formation écologiste. Les candidats élus ont présenté aux électeurs une plate-forme locale claire et bien développée, et ils ont gagné des majorités presque absolues. Donc, un mandat clair. Après moins de deux mois au pouvoir, la nouvelle administration a déjà subi deux crises médiatiques: celle du déneigement et maintenant celle du stationnement.
Premièrement, le déneigement. L’arrondissment est confronté avec deux situations: un contexte budgétaire précaire et des difficultés récurrentes quant à la qualité et au coût du déneigement. Au courant de l’élection les candidats se sont engagés à prioriser le déneigement et le déglaçage des trottoirs, question de rendre le quartier plus sécuritaire et agréable pour les piétons. Dans leur plate-forme on mentionne aussi la possibilité de viser une diminution du volume de neige chargée. Vu la situation financière de l’arrondissement, tout nouvel investissement dans le déneigement des trottoirs requièrerait une économie à quelque part d’autre. L’administration prend alors la décision de ne plus charger la neige pendant les fins de semaine et sous le seuil des 15 cm de précipitation.
Les médias sautent là-dessus. Ça va être l’enfer, ça va être invivable, personne ne va pouvoir se déplacer. Le message qui est ressorti, c’est que la neige ne sera plus ramassée sur le Plateau, ce qui n’était pas du tout ce qu’on proposait. Après deux tempêtes de neige, ces prévisions alarmistes ne se sont pas réalisées. La neige a été ramassée à la satisfaction de la majorité des résidents, les trottoirs sont mieux déglacés et l’arrondissement a économisé de l’argent.
Deuxièmement, le stationnement. Encore une fois, l’équipe récemment élue avait clairement précisé ses engagements au courant de la campagne: une administration de Projet Montréal diminuerait l’offre de stationnement gratuit pour les non-résidents. Dans un quartier comme le Plateau, où le stationnement est limité et le transport en commun est efficace, ce n’est pas une idée déraisonnable. Encore une fois, les médias sautent là-dessus. Ça va être l’enfer, ça va être invivable, personne ne va pouvoir se stationner, les commerces vont fermer leurs portes. Le message qui est ressorti, c’est qu’on ne va plus pouvoir se stationner sur le Plateau. Point à la ligne. Encore une fois, c’est loin d’être ce qu’on proposait.
Ces deux “crises” ont largement été fabriquées par les médias. Des propositions qui avaient du mérite ont été simplifiées, déformées, et présentées d’une manière dramatisée et sensationnelle. Une fois la désinformation commencée, tous les médias se sont précipités pour ne pas manquer la dernière nouvelle et le drame s’est répandu. On peut certainement avoir des différences d’opinion et critiquer ces politiques d’une manière informée et productive; toutefois, ce n’est pas ce que s’était produit, du moins dans le monde médiatique. Poussés par la recherche du sensationnel, ils ont mené une campagne de désinformation.
Confrontés avec de telles tempêtes médiatiques, plusieurs politiciens seraient tentés de reculer. Même ceux qui ont des bonnes intentions peuvent ressentir l’instinct d’auto-préservation qui leur pousse à poursuivre un étapisme au rythme si lent que l’on peine à voir des résultats. Autant miser sur le statu quo que de risquer sa réélection avec des idées innovatrices (mais nécessaires) qui pourraient en déranger certains. Heureusement, les élus du Plateau ont une vision concrète de ce qu’ils veulent accomplir et ils s’attendaient à une certaine résistance. Ils sont prêts à faire face aux attaques parce qu’ils savent que ce n’était pas pour rien que la population les a portés au pouvoir. Mais ce ne sont pas tous les élus qui sont aussi courageux et déterminés.
La situation va être pire encore quand le temps de prendre des décisions difficiles arrivera enfin. Il nous faudra des médias qui informent et encouragent des débats intelligents, plutôt que d’effrayer et de promouvoir l’hystérie. Malheureusement, jusqu’à présent la grande majorité des médias traditionnels n’ont pas été à la hauteur de la tâche. C’est à se demander pourquoi les administrations municipales ont peur d’innover.
5 comments
Pour ceux et celles qui s’intéressent au rôle des médias dans les débats publiques, je vous suggère cet article paru aujourd’hui dans le Devoir. Il s’agit d’une entrevue avec Marcel Gauchet, un historien français. Je pense que ses critiques de l’état actuel des médias sont très pertinentes.
http://www.ledevoir.com/societe/medias/280850/l-entrevue-sortir-du-brouillard-mediatique
Je trouve ce billet intéressant, mais très complaisant envers Ferrandez. En fait, en lisant cette entrée j’ai l’impression de lire Ferrandez, en moins divertissant.
Dans les deux cas, on parle de «crises médiatiques». Labonté et Accurso, ça c’est une crise médiatique; l’ensemble du dernier mandat de Tremblay, ça c’est une crise médiatique. Les reportages sur les vignettes et le déneigement n’étaient pas des «crises médiatiques». C’étaient des reportages comme il en paraît mille par années. La seule raison qui justifie qu’on parle de crise, c’est que Projet Montréal a paniqué. En ce sens, c’est davantage une crise de PR qu’une crise médiatique…
PS: Un lien vers l’entrevue avec Ferrandez au Téléjournal. Imaginez un instant qu’il n’ait pas réagi sur son blogue mais seulement fait cette entrevue: parlerait-on de crise. Non. C’est la preuve que Projet Montréal l’a créée de tout pièce. http://bit.ly/6l96qh
Juste rajouter que je suis tout de même d’accord pour dire que le reportage de Rad-Can n’était pas parfait. L’introduction de Patrice Roy est même carrément à chier: «ça va être l’enfer»… Dude, Patrice, si tu veux devenir éditorialiste, change de job!
@ Samuel
Évidémment, c’est vrai que ces deux enjeux ne sont pas du tout comparable aux crises majeures que l’administration Tremblay a subit vers la fin de l’année dernière. Cependant j’ai trouvé le mot “crise” approprié à cause du ton alarmiste de la majorité des reportages (l’introduction de Roy en étant un bon example, mais certainement pas le seul). Ces histoires ont vraiment fait le tour des médias traditionnels, ce qui est très rare quand on parle d’un enjeux très local et assez technique. Par contre, l’information donnée était au mieux approximative, au pire carrément fausse. Et c’est là où le problème se trouve.
Enjeux locaux et techniques??
Je crois que tu ne saisis pas tout à fait l’ampleur de ces chambardements. Ceci ne fait qu’amplifier ton incompréhension devant le tollé.
Dommage.