La façade de la maison Redpath en 2010. Source : Guillaume St-Jean
Deux jours à peine après le dévoilement par Héritage Montréal de sa liste annuelle des édifices menacés, les médias nous annonçaient qu’un permis de démolition avait été émis pour la maison Redpath, un édifice qui figure sur cette liste depuis 2008.
L’édifice, une ancienne résidence bourgeoise construite en 1886 pour des membres de la famille Redpath sur l’avenue du Musée, faisait originellement partie d’un ensemble de deux résidences contigües quasi identique de style néo-Queen Anne. Ce style qui fit son apparition au Canada au tournant des années 1870 et 1880 est fondé sur un traitement pittoresque des formes qui implique une composition élaborée de volume en saillie et en retrait, la présence de toits abrupts ornés de lucarnes, de frontons sculptés, de pignons, de faîtes croisés et de cheminées décoratives ainsi que de l’utilisation d’une grande variété de matériaux et de motifs historiques empruntés aux traditions classiques et médiévales. Selon Héritage Montréal, il ne subsiste que très peu d’exemples de ce style à Montréal.
Une vue de la maison Redpath et de sa voisine sur l’avenue du Musée. Source : Musée McCord/Guillaume St-Jean
Contrairement à sa voisine de gauche, qui fut remplacée par un autre édifice au début des années 1910, la maison Redpath subsista dans son état originel (auquel vinrent s’ajouter quelques annexes en cour arrière au fil du temps) jusqu’en avril 1986. En cette date, son propriétaire avait alors procédé illégalement, soit sans permis accordé par la Ville, à la démolition d’une grande partie de la section arrière de l’édifice ainsi qu’à son dégarnissage intérieur. Les travaux avaient alors été arrêtés et la Ville avait refusé de délivrer ledit permis, malgré le fait que la résidence était déjà en grande partie démolie. En novembre 1986, une entente avait finalement été conclue entre la Ville et les propriétaires : l’édifice serait conservé et intégré et un édifice à condos de cinq étages. Une esquisse du projet présenté dans le journal The Gazette en 1987 nous démontre que l’édifice proposé aurait été conçu dans un style similaire à l’édifice construit au siècle précédent. Le versant du toit avant aurait ainsi été prolongé vers le haut afin de couvrir les étages additionnels construits derrières et quelques éléments décoratifs, tels qu’une haute cheminée et fort possiblement des lucarnes, auraient été ajoutées ça et là afin de créer un ensemble se voulant harmonieux.
Amos et Avi Sochaczeski, les propriétaires de la maison Redpath, posant devant les ruines de la résidence avec une esquisse du projet de condo. Source : The Gazette, le 17 juillet 1987
Cet édifice à condos qui aurait vraisemblablement très mal vieilli esthétiquement n’a toutefois jamais été construit. L’édifice en ruine fut donc laissé comme tel et celui-ci resta plus ou moins dans l’ombre jusqu’en 2001, date à laquelle son propriétaire (le même qui avait procédé à la démolition) déposa cette fois à la Ville une simple demande de démolition sans projet de remplacement. Après des mois d’analyse et de négociation, la demande fut rejetée. 10 ans plus tard, soit en 2011, le même propriétaire présenta une demande de démolition ainsi qu’un projet de remplacement. L’édifice proposé dérogeait à la règlementation de zonage de l’arrondissement en termes de hauteur en mètres et nombre d’étages et fut une fois de plus rejeté.
En décembre 2013, une demande de démolition ainsi qu’un projet de remplacement se disant conforme à la règlementation furent approuvés par l’arrondissement. La maison Redpath sera donc démolie et remplacée par une maison de chambres pour étudiants, d’une hauteur de quatre étages et contenant près de 90 chambres réparties dans 29 logements. Les détails concernant ce projet entrent toutefois au compte goutte et peu d’informations ont pour le moment été diffusées par les médias. En date du 13 février 2014, le journal Métro nous apprenait que le maire Denis Coderre considérait l’édifice dangereux et que sa démolition était donc justifiée par cet aspect :
«Ce qui m’a convaincu, c’est la question de la sécurité. C’est moi qui a pris la décision et je l’assume pleinement.» – Denis Coderre, maire de Montréal et de l’arrondissement de Ville-Marie, au sujet de la démolition de la Maison Redpath
Une vue de l’arrière de la maison Redpath en 2012. Source : Guillaume St-Jean
Cette question de sécurité soulève évidemment bien des débats. Il est vrai que le parement de brique se détachait peu à peu du mur avant et que la structure de bois érigée à l’arrière afin de soutenir un édifice dont la structure était devenue défaillante n’était sans doute plus appropriée; les charges ayant changé au fil du temps par la décrépitude des matériaux (voir de la structure de support même) ou encore par le poids de la neige, mais l’édifice posait-il un réel risque pour la sécurité publique que le périmètre de sécurité érigé au pourtour de l’édifice ne pouvait contenir ? L’édifice est en retrait de la rue de quelques mètres et la cour arrière n’est accessible que depuis l’avenue du Musée. Le déplacement du périmètre afin de limiter l’accès à la totalité du terrain sur lequel est érigée la propriété aurait vraisemblablement permis de limiter tout incident pour quelque temps encore.
Mais en mettant de côté l’aspect sécuritaire ou non des lieux, était-il vraiment possible de conserver l’édifice ? Et qu’aurait-on pu faire avec une telle structure ?
Du côté règlementaire, il faut d’abord savoir que l’édifice même ne possède aucun statut légal de protection, tant municipal que provincial et il n’est pas non plus situé dans le site patrimonial déclaré du Mont-Royal en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. La demande de démolition ainsi que le projet de remplacement ont donc été analysés uniquement par le comité consultatif d’urbanisme (CCU) ainsi que par le conseil d’arrondissement (CA).
À l’heure actuelle, seule une esquisse de la façade avant a été rendue publique. D’allure plutôt sobre, l’édifice d’une hauteur de quatre étages et approuvé par le CA ne fera pas un rappel des formes de la maison Redpath. Il sera plutôt doté d’un toit plat, d’ouvertures verticales et d’un parement de brique rouge, soit des éléments qui s’harmonisent avec les édifices avoisinants ainsi qu’avec celui auquel il sera contigu. Le CA aurait pu demander à ce que le nouvel édifice conserve les lignes stylistiques de la maison Redpath mais ceci n’a pas été le cas.
Il est malheureux d’apprendre que la maison Redpath ne sera bientôt plus qu’un souvenir, mais aurait-il réellement été possible d’intégrer la structure subsistante à une nouvelle construction ? Aucune étude attestant de la solidité des lieux ne semble avoir été réalisée récemment, mais une rapide inspection visuelle permet de constater que le parement de brique en façade se détache et qu’il aurait dû être entièrement remplacé. Il en est sans doute de même pour le revêtement d’ardoise qui recouvre les multiples pignons du toit. En supposant qu’il aurait été possible de conserver une partie de la structure, une fois la totalité des matériaux de parement d’origine remplacée, qu’aurait-il resté de la matérialité des lieux autre que sa forme ? Par ailleurs, puisque la section où se trouvait la porte d’entrée n’existe même plus, il aurait fallu reconstruire un accès à l’édifice ainsi qu’une vaste annexe à l’arrière. Et c’est cet ajout qui aurait évidemment soulevé bien des débats. De nombreux projets réalisés au cours des dernières années à Montréal ont démontré que des interventions qui respectent pourtant l’un des principes de la Charte de Venise, stipulant que les nouvelles parties ajoutées sur un édifice lors d’une restauration doivent être facilement identifiables et se discerner de l’ancien afin de ne pas falsifier sa lecture et sa compréhension, n’ont pas la côte auprès de la majorité de la population. Les commentaires rédigés sur les médias sociaux suite à la publication d’un article sur la restauration et l’agrandissement d’une maison datant du début du XIXe siècle à l’aide d’une aile contemporaine à Dorval le démontraient bien. Les puristes auraient sans aucun doute préféré que la maison Redpath soit reconstruite comme à l’origine et que l’agrandissement soit réalisé dans le même style, en y intégrant ça et là une cheminée additionnelle, des éléments en saillies et des lucarnes afin de bonifier l’ensemble. Mais qu’aurait été cet édifice reconstruit autre qu’un faux vestige du siècle dernier, réinterprété par des architectes de l’époque contemporaine ? Une intervention en ces lieux digne de la pensée de Viollet-le-Duc, un architecte du XIXe siècle ayant restauré de nombreux édifices de l’époque médiévale, qui prétextait que «restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné» aurait-elle réellement été souhaitable ? Personnellement, j’en doute fort.
Considérant que l’édifice avait passé le point de non-retour et que la seule intervention possible en ces lieux n’aurait été qu’une reconstitution, voir une réinterprétation, il semble être temps de tourner la page sur cette saga qui fait les manchettes depuis 3 décennies. La fin de cette saga est malheureuse certes, mais une fois la poussière retombée et le nouvel édifice construit, le destin de plusieurs autres édifices d’intérêt sera sans doute changé grâce à cette histoire et à des modifications à la règlementation d’urbanisme actuellement en vigueur. L’erreur des années 1980 provoquée par le manque d’intervention rapide pour la sauvegarde de l’édifice partiellement démoli aura été lourde de conséquences pour la maison Redpath, mais la réflexion qui en découlera au cours des prochaines années permettra sans doute d’éviter qu’une telle erreur ne se reproduise.
2 comments
Il y a la question des bénéfices ainsi accordés à un propriétaire ayant consciemment laissé l’édifice se dégrader afin de faire valoir la nécessité de le démolir. Il ne devrait pas être permis à ce M. Sochaczeski de s’en tirer avec des bénéfices, le système est bien pourri de le laisser s’en tirer à si bon compte.
Même stratège que dans les années 1970 (décennie championne de démolitions)
Laisser aller et hop on évoque la sécurité ,ils ont fait le même coup à Granby lors de la démolition du premier bureau de poste (1907) et ironiquement Mme Lubecky dont sa mère était une Redpath m’avait beaucoup aider à essayer de sauver le bureau poste
Autre temps,même mœurs . L’appât du gain seras toujours un déterminant qui feras pencher la balance de leurs côté .