En prévision de Marcher la région, j’ai expliqué à des dizaines de personnes pourquoi se rendre de L’Assomption au Dix 30 à pied permettait de vraiment comprendre la réalité du Grand Montréal. C’est seulement en marchant, ai-je essayé de leur démontrer, que l’on peut capter le sens qu’ont chacun de ces lieux et le caractère profondément hétérogène de la région montréalaise. Mais pourquoi marcher ? Qu’est-ce qu’il y a de propre à la longue marche, qui ne peut être remplacé par des expéditions en voitures ou une promenade à vélo ?
J’aime croire que la marche, à bien des égards, se rapproche de la lecture de fictions.
Un article récent rapporte que des chercheurs de l’Université de Toronto ont fait lire chaque soir à un groupe d’étudiants un texte de fiction pendant qu’un autre groupe lisait un essai. Chez les sujets qui lisaient de la fiction, les chercheurs ont noté un confort de plus en plus grand avec le doute et l’ambiguïté. « Lire de la fiction, remarque l’auteur de l’article, permet de se familiariser avec différents styles de pensée, et ce, même si l’on réprouve ceux-ci. » La fiction nous fait partager le point de vue de personnages déprimants et antipathiques et nous plonge dans des idées que l’on aurait autrement jamais considérées. Elle ramollit nos certitudes et nous rappelle que d’autres vies sont possibles.
La pratique de la longue marche produit un effet semblable parce qu’elle force à traverser des espaces que l’on aurait autrement évités. Dans une traversée à pied de la région métropolitaine, le marcheur doit s’abandonner à ce qu’il voit. Si les lieux sont tristes, insignifiants ou sordides, il doit apprendre à contempler des lieux tristes, insignifiants ou sordides. S’il n’y a pas de grand spectacle qui s’offre à son regard, il doit se concentrer sur la flore de bord d’autoroute, sur l’ombre des pylônes dans les champs et sur la vie quotidienne dans les cours arrière. Son déplacement lent et continu lui permet de replacer chaque élément dans son contexte à la fois vaste et microscopique. Et plus il marche, plus il entre dans cet état de grâce où tout devient digne d’intérêt.
C’est dans ce sens que la marche ramollit les certitudes. Et en cela elle joue un rôle particulièrement salutaire, en nous permettant de repenser en toute liberté l’avenir de Montréal.