1926-2009
*** Version originale d’un article publié dans le journal Le Devoir le lundi 24 août 2009 ***
Alors que certains lieux de mémoire perdurent, d’autres sombrent rapidement dans l’oubli si bien que quelques années après leur disparition, plus personne n’en a le moindre souvenir. Occupant depuis plus de trois décennies une maison construite sur un terrain riche en histoire, le propriétaire lui-même ignorait, jusqu’à ma visite, que s’y dressait autrefois une construction qui aura fortement influencé la toponymie des environs.
John Ogilvy, propriétaire d’une maison de ferme située à l’ouest du chemin de la Côte-des-neiges, vouait une profonde admiration à Horatio Nelson, le célèbre amiral de la bataille navale de Trafalgar qui eut lieu le 21 octobre 1805. L’année suivant la victoire de la flotte britannique, il fit dès lors ériger, sur sa propriété, une tour de pierre qu’il désigna par la suite sous le nom de Trafalgar.
À l’image d’une pratique alors courante en Angleterre, soit celle d’ériger des monuments à la mémoire de prestigieux disparus, la tour de Trafalgar était pourvue à son sommet d’un petit canon dont on tirait quelques coups une fois l’an, à la date anniversaire de la bataille.
Vendu par John Ogilvy en 1835, le terrain sera racheté de Mary Ann McGregor une décennie plus tard par Albert Furness. En plus d’y ériger sa résidence en 1848, celui-ci apportera quelques modifications à la tour.
Ayant été laissée quelque peu à elle même avant cette seconde transaction, la tour gothique, dont les signes de détérioration avancés lui donnait alors un aspect sinistre, inspira la plume de George Boucher de Boucherville qui écrivit un conte fantastique à son sujet en 1835.
Dans ce texte écrit à la première personne du singulier, le narrateur expose le récit de son aventure en ses lieux. Étant allé s’y réfugier lors d’un violent orage après s’être perdu dans la forêt, ce dernier affirme y avoir entendu des bruits de pas, vu des traces de sang sur les murs et avoir senti une main glacé se serrer sur son cou. S’enfuyant de la tour à toutes jambes, il apprendra par la suite que celle-ci aurait été le théâtre d’un double meurtre quelques années auparavant.
Reproduit à maintes reprises dans diverses publications aux cours des décennies suivantes, ce conte attisera pendant longtemps l’imagination populaire si bien que la fiction se confondra par la suite à la réalité.
Sujette à de nombreux témoignages d’évènement surnaturels racontés par des gens qui sont entrés à l’intérieur de ses murs, la tour sera reconnue au début du 20e siècle par bon nombre de Montréalais comme étant la tour hantée.
Démolie à une date inconnue, son terrain est désormais occupé depuis 1955 par une résidence unifamiliale située au 3134 du chemin Trafalgar–Heights.
Bien qu’aucune trace de la tour ne subsiste au sommet du terrain escarpé où elle se trouvait autrefois, quelques pierres de taille provenant vraisemblablement de cette structure font maintenant partie d’un muret érigé au bas de la pente, en bordure de l’avenue Trafalgar.
Symbole d’une victoire britannique sur la flotte franco-espagnole puis représentation d’un lieu maudit, la tour de Trafalgar aura par conséquent marqué l’histoire de Montréal en laissant son nom à de nombreuses propriétés et voies de circulation avoisinantes.
Source de la photo : BANQ, P600, S6, D4, P61
5 comments
Les plans d’assurance, quelle mine d’or! Quand je les ai découvert, j’ai passé toute la nuit à les examiner…
* * *
À propos de Trafalgar, n’oublions pas non-plus la maison du même nom, érigée en 1848 en style néo-gothique…
@Marc Dufour : “n’oublions pas non-plus la maison du même nom, érigée en 1848 en style néo-gothique…” : En plus d’y ériger sa résidence en 1848…
J’avais lu un article sur cette tour – pourtant personne ne semblait être capable de dire où exactement elle se trouvait — merci!!
@Adrien : J’avais écris un article à ce sujet l’an dernier mais ce coup-ci, j’ai poussé mes recherches plus en profondeur.
Merveilleux article :)