C’est hélas une question que se posent trop rarement nos politiciens et nos journalistes, qui s’intéressent à la surface de l’aménagement mais ne se préoccupent guère du fonctionnement de la ville (et de la Ville). L’exemple le plus récent: au lieu de se questionner à savoir comment on réalise, concrètement, un grand projet d’aménagement urbain (comme le projet du Havre), le chef du parti Projet Montréal a plutôt décidé, il y a quelques semaines, de déclarer la guerre aux organismes à but non lucratif dédiés, justement, au développement et/ou à la gestion des grands projets de réaménagement urbain tels la Société du Havre, la Société de développement Angus et le Quartier international de Montréal (voir la capsule vidéo de la séance du 21 février du conseil municipal, sous Avis de motion des conseillers et dossiers pour orientation, 42:00).
Richard Bergeron n’a pas tort lorsqu’il fait valoir l’importance de la transparence et de l’imputabilité de ces gestionnaires de fonds publics : quiconque réalise un projet sur le domaine public avec de l’argent public doit rendre des comptes à la Ville et prendre en considération les divers intérêts de la collectivité. Cela dit, il fait fausse route lorsqu’il affirme que la Ville devrait elle-même réaliser ces projets. Non pas que les fonctionnaires de la Ville en soient incapables, loin de là, mais plutôt que l’organisation municipale ne s’y prête pas.
Rappelons le cas du projet du Quartier international de Montréal, qui a reçu plus de trente prix et distinctions nationales et internationales dont le prix le mieux géré au monde en 2005 décerné par le Project Management Institute. Ce projet a été réalisé par la société du même nom en seulement quatre ans en respectant non seulement des échéanciers très serrés et un budget fixe, mais aussi des standards de qualité exceptionnels. La Ville a joué un rôle important dans la réalisation du projet – mais la gestion externe a permis non seulement d’amasser plus de 16 millions de dollars en fonds privés, mais aussi de réaliser le projet sans interruption alors que durant la même période la Ville de Montréal a du faire face aux fusions municipales, à une réorganisation complète de la bureaucratie, à un changement d’administration ainsi qu’à un changement de gouvernement à Québec. Il est fort à parier qu’un projet géré entièrement par la Ville aurait fait les frais de ces nombreux changements et de la lourdeur administrative propre aux administrations publiques complexes.
Il importe aussi de rappeler à M. Bergeron que la très grande majorité des projets d’aménagement d’envergure réalisés ces quarante dernières années en France et aux États-Unis l’ont été par des « sociétés d’économie-mixte » – qui ressemblent en tout point aux organismes qu’il pourfend. Le chef de Projet Montréal, qui cite souvent la France comme exemple à suivre, devrait chercher à savoir combien de municipalités de l’Hexagone réalisent elles-mêmes leurs grands projets urbains. Pourquoi les villes de Paris et de Bordeaux auraient-elle créé la SEMAPA et la SEM InCité si elles avaient pu aisément réaliser ces grands projets d’aménagement elles-mêmes?
La gouvernance des grands projets à Montréal à l’heure actuelle est loin d’être parfaite, il faut en convenir. Les grands projets eux-mêmes ne sont pas toujours parfaits et certains concepts pourraient sans doute être améliorés. Mais là n’est pas la question. Rapatrier tous les projets à la Ville aurait l’effet contraire de ce prétend M. Bergeron : il en résulterait l’alourdissement des processus de prises de décisions, l’étirement des échéanciers et donc, inévitablement, l’augmentation des coûts (au dépend de la qualité).
J’ai moi-même travaillé pour le Quartier international de Montréal et j’ai eu le privilège de travailler au sein d’une équipe de professionnels dédiés et passionnés par les projets (et par Montréal). J’ai aussi eu le privilège de travailler avec des fonctionnaires municipaux de grande expérience et de grand talent, autant au niveau opérationnel que stratégique. Cela m’a convaincu non pas qu’il faille rapatrier les projets à la Ville, où le talent de ces fonctionnaires resterait sous-exploité, mais plutôt qu’il est nécessaire de mettre en valeur leur savoir-faire et de les impliquer plus activement dans la réalisation même des grands projets (et non seulement dans les processus administratifs). Et je suis persuadé que nombre d’entre eux (et en particulier ceux qui ont participé aux projets du Quartier international, de la rue McGill ou du Quartier des spectacles) diraient de même.
En agitant l’épouvantail des organismes « externes » à la Ville, le chef de Projet Montréal attire l’attention sur un faux problème et nous éloigne des difficultés réelles que vivent ceux-ci. Le problème n’est pas de savoir s’il faut se débarrasser d’eux – mais plutôt de savoir comment leur permettre d’être plus efficaces. Il ne faut surtout pas jeter le bébé (et la pouponnière!) avec l’eau du bain.
Sans quoi nous risquerions de replonger Montréal dans le fameux immobilisme (cité si souvent par nos politiciens).
6 comments
Burying the lede, I see. Second-to-last paragraph, we find out “J’ai moi-même travaillé pour le Quartier international de Montréal” … Well shucks. Gosh!Bring on the PPPs! They’re doing so well, after all.
Also, be sure to say the word immobilisme three times and the neoliberalism fairy will put a megaproject under your pillow.
With two or three exceptions, Spacing Montréal was never as critical or as substantial as Spacing Toronto, and now with this brave anti-Bergeron piece from a municipal insider, its absent-minded regurgitation of the establishment line is officialized.
Neumontréal: I appreciate your comment, even though I take exception with your superficial reading of the piece. Yes, I did work for Quartier international – which, as you have noticed, I have no problem disclosing. But I am not a municipal insider, as I am no longer working there and I am now pursuing a Ph.D. in public affairs, studying precisely these kinds of issues, What is more, I never was an insider, as Quartier international is an independent, private, non-for-profit organization (with representatives of the City on its board). Does having real world experience discredit one?
Regarding your allusion to PPP: neither the Quartier international nor the Quartier des spectacles project is a PPP in the traditional sense. In both cases, the City retained complete control of the project and is the one who calls all the shots. What is more, private funds in both cases did not come with strings attached, and did allow for a higher quality of design. It is not a coincidence that the Quartier international project has won several urban design awards. The truth is, all of the Michel Dallaire urban furniture, the fountains, the art, the restored Guimard entrance – all of that was paid for by private sponsors.
I invite you to engage with the arguments, if you actually care about this issue. Is entrusting the realization of large-scale urban projects to non-profit organizations dedicated to project management equivalent to “selling out” the public domain? I think the bulk of the evidence militates against this view. My point is simply: projects are better managed outside of the municipal apparatus. If you have reasons to believe otherwise, please explain why.
But trying to disparage the author isn’t advancing the discussion in any way.
des standards de qualite exceptionnels?
hard to believe, seeing that it’ll cost $600k+ to repair, after 2 years of use
http://www.cbc.ca/news/canada/montreal/story/2011/03/23/place-des-festivals.html
my personal opinion is that the result is an uncomfortable concrete desert: i certainly don’t feel invited me to go and stay in this area.
at the very minimum, the street between that place and the metro should have been closed (foot traffic anyone?). the shared space bicycle/pedestrian path doesn’t feel right either – not that i could say what’s wrong (that’s the urbanist’s job). the parking lot beside downright dangerous: attendants wave in cars at the entrance without checking for bicycle traffic, which has the priority.
this is maybe up to 70s standards, but a shame for modern times.
Voici un article dont la rédaction est d’une qualité excellente : opinions réfléchis munis d’exemples concrets. Sans mentionner la maîtrise irréprochable de la langue française, ce qui facilite et encourage sa lecture. Félicitations – j’espère que vous continueriez à contribuer à ce cybercarnet.
Yeah, the Place des Festivals is a big open space with not much, but then, how do you design a space that can hold 200,000 people that doesn’t look huge and empty when there’s no-one there? It’s not big a thoroughfare for pedestrians, so I’m just fine with cars going through it, and the fountain is a great idea. Although not in comparable locations downtown, I much prefer Montréal’s very simple approach over what Toronto chose with its Dundas Square, for example.
I absolutely LOVE the Quartier International. Shortly after arriving in Montréal, I worked in Place Victoria, and boy was it a sad area: off the beaten track, surrounded by nothing to the south, tired almost-abandoned buildings, and businesses hanging on by their fingernails (or not) all over the place. Then the World Trade Centre came in as a huge breath of fresh air, but the remaining area remained ugly and an urban afterthought. Then the OACI building came in, Québecor redid its façade, infill happened in the Cité du Multimedia, the Quartier International was built, and wow. Now, it’s a fantastic divide between Old Montréal and downtown, pleasant and pretty and interesting. My one objection is the very strange atrium linking the OACI to the métro — like, wtf?
Il aurait fallu qu’un élu siège sur le Conseil d’administration de la Société du Havre pour que celle-ci devienne soumise à la loi sur l’accès à l’information. Les élus sont imputables à la façon dont les fonds publics sont dépensés. Présentement, elle se soustrait à ces règles, et même si la Ville y contribue 80% des ses budgets, elle n’a de compte à rendre à personne.
La question qui reste est: pourquoi ne pas avoir mis un élu sur le Conseil d’administration? Pourquoi entretenir cette opacité si celle-ci n’a rien à cacher?