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Canadian Urbanism Uncovered

La démocratie et la planification

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« La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres. »
– Sir Winston Churchill

Qu’est-ce que la démocratie ? Conçue en Grèce antique, ce terme, qui signifie « peuple-pouvoir » est devenu une doctrine puissante. Elle est répandue à travers la gouvernance occidentale et elle se manifeste en plusieurs façons. La démocratie française n’a rien à voir avec celle du Royaume-Uni ou même celle de l’ancienne Allemagne de l’Est. Pourtant, chacun se définit en tant que démocratie. Ici au Canada et au Québec, nous profitons de vivre dans une société démocratique, sans avoir sérieusement expérimenté une approche différente. Nous obligeons d’autres pays à l’adopter, en utilisant des méthodes qui la contredisent. Nous soutenons qu’il s’agit du meilleur système de gouvernance, et nous restons aveugles à ses exigences et à ses dangers potentiels.

La démocratie permet à un peuple de diriger son destin. Avec le gouvernement responsable, cette occasion est accordée au citoyen ; il n’est plus assujetti au roi, à l’évêque, et au maître. L’homme ne doit répondre qu’à lui-même. Ses intérêts décident des politiques ; il élit ses représentants et, au moment qu’ils ne lui conviennent plus, il en trouve d’autres. Ce système semble efficace, néanmoins, qu’advient-il lorsqu’une société doit toujours satisfaire les vœux des individus ? D’ailleurs, l’on peut remplacer le mot « individu » par « groupes » ou bien « collectivités », mais qu’englobent-ils ? Comment peut-on les définir ? Et qui entre eux doit prendre la décision sans appel ?

Ces questions, entre autres sur la démocratie, posent des problèmes majeurs pour la planification sociale et urbaine de sorte qu’il faut se demander si les deux souhaitent collaborer. Étant donné le scrutin municipal en novembre, nous sommes tenus de réexaminer les grands enjeux que la démocratie apporte à l’urbanisme.

La tyrannie de la majorité

Attendu la définition de la démocratie, qu’advient-il à une société qui a confié trop de pouvoir au peuple, où il n’existe guère de précautions pour entraver leur autorité ? Une telle situation décrit la tyrannie de la majorité, une implication potentielle de la démocratie.

Alexis de Tocqueville l’a bien explicité dans ce paragraphe :

  • « Lorsqu’un homme ou un [groupe] souffre d’une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous qu’il s’adresse ? À l’opinion publique ? C’est elle qui forme la majorité ; au corps législatif ? Il représente la majorité et lui obéit aveuglément ; au pouvoir exécutif ? Il est nommé par la majorité et lui sert d’instrument passif ; à la force publique ? La force publique n’est autre chose que la majorité sous les armes ; au jury ? Le jury, c’est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts : les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. »

La volonté de la majorité nous domine au Québec. Or, notre régime parlementaire prévoit des freins et contrepoids afin de prévenir une sujétion totale au public. Cependant, ces mesures, fonctionnent-ils toujours efficacement ? On dirait que non et, par suite, la majorité représente un obstacle important dans la planification. La planification existe pour avancer la cause de tous dans une société, mais de plus en plus, dans notre société démocratique, il semble qu’elle ne serve que la volonté de la majorité. Malheureusement, dans la plupart des cas, la majorité n’englobe pas tous les gens d’une société. Qu’advient-il lorsqu’elle règne au détriment de la minorité ? Comment la planification peut-elle soutenir à la fois la majorité et la minorité dans le temps où leurs deux objectifs se contrastent ? L’on ne peut ménager la chèvre et le chou. Semblablement, l’on ne peut construire un pays, y déclarer que « all men are created equal », et ensuite procéder à asservir la minorité parce que la majorité l’accepte.

Prenons l’exemple du mariage de personnes de même-sexe.

C'est mon choix d'être un électeur bête

La majorité n’a pas souvent raison

Un autre défaut dans le processus démocratique est que la majorité a souvent tort. John Stuart Mill constate dans son œuvre « On Liberty » qu’il s’agit de « le plus fort… argument contre l’intervention du public… [parce que] quand il interfère, il y a fort à parier qu’il interfère incorrectement, et dans le mauvais lieu ». Les mœurs sociales majoritaires pourraient se caractériser en forme perverse ; le public pourrait être mal informé ; ou, peut-être la majorité ne s’intéresse-t-elle qu’à ses intérêts.

Le phénomène « Not In My Backyard (Pas Dans Mon Arrière-cour ou NIMBY) » souligne la manière dont les gens peuvent s’initier aux problèmes de la planification, et conséquemment peuvent avoir tort. Le mouvement moderne de NIMBY provient de la nouvelle autonomisation auprès du public sur ses affaires dans son environnement. Après avoir arraché quelques victoires contre le gouvernement au sujet de différents plans urbains durant les années 60, les citoyens ont commencé à s’apercevoir qu’ils tiennent beaucoup de pouvoir politique.

Dans chaque ville, il faudrait certains services pour assurer le fonctionnement d’une municipalité : les routes, les parcs, les écoles, les hôpitaux, etc. Mais, il ne faut pas oublier les autres projets qui ne se caractérisent pas selon le même charme auprès des habitants : les sites d’enfouissement, les usines d’eau potable, les aéroports, et les centres correctionnels qui restent néanmoins nécessaires pour virtuellement tous les centres urbains. NIMBY rend extrêmement difficile à planifier pour ces infrastructures et ces équipements. Par suite, l’ensemble de la société ne reçoit pas les avantages de ces projets, car personne ne veut porter les coûts localisés. Plus précisément, avec le NIMBY, une collectivité ou un groupe peut gagner la bataille, tandis que toute la ville entière perd. Souvent, aucun autre projet n’est proposé pour résoudre le problème original : le public trop mal informé pour en présenter, le gouvernement trop effrayé d’une nouvelle polémique pour recommencer le processus de planification.

Prenons l’exemple de la piste cyclable sur le chemin Côte-Ste-Catherine à Outremont

Le public n’est pas formé en affaires d’urbanisme

Comment peut-on exiger la majorité à prendre de bonnes décisions en matière de planification quand elle ne connait pas le domaine ? Le public n’a pas l’expertise fondamentale pour esquisser des solutions à tels problèmes. À l’ordinaire, ils n’ont même pas toutes les informations nécessaires pour prendre une décision informée ; ils sont plutôt menés par leurs émotions. Au pire, ils sont hypnotisés par les intérêts d’un leader, la personne qui pourrait mieux convaincre la majorité que son plan est le meilleur et le seul plan.

Vote Joe ; I'm going to.

Les urbanistes sont devenus des experts dans le domaine et, pourtant, ils doivent répondre à leurs superviseurs : les amateurs du public. Parfois, l’opinion du public fait annuler les recommandations des professionnels par les instruments de la démocratie : les pétitions et les référendums.

Prenons l’exemple de 166 Chester à Ville Mont-Royal.

Quel peuple ?

Citons Abraham Lincoln : la démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple.
Qui est le peuple ? Les hommes ? Les femmes ? Les blancs ? Les noirs ? Les anglophones ? Les francophones ? Les humains ? L’environnement ? L’ensemble ? Nos centres urbains sont composés d’une pluralité de publics, apportant une diversité d’objectifs, où chaque collectivité a leurs propres besoins. En 2006, certaines régions canadiennes ont constaté que la majorité de la population demeure les soi-disant minorités visibles. La question se pose : dans ce nouveau monde de multiculturalisme, quelle communauté établit la majorité ? Quel groupe parmi ces collectivités devrait décider les politiques ? Celle qui a fondé la société ? Celle avec la plus forte population ? Celle avec les moyens financiers ?

Prenons l’exemple éternel des enjeux linguistiques à Montréal.

« If You Don't Come to Democracy » par Aleksandar Vodevic

Il existe bel et bien de véritables obstacles de la planification. Comment les planificateurs peuvent-ils dîner avec la démocratie quand elle ne veut pas les joindre à la table ? Supposons que nous renonçons au processus démocratique. Que constituent alors les autres options qui s’offrent aux citoyens ? Les directives devraient-elles provenir d’un leader ? Si oui, qui jouerait le rôle de ce leader ? Il est vrai que le Paris de Hausmann a été conçu par un tel système. Or, l’on dirait de même pour le Berlin de Albert Speer. Laisser non-surveillé, les urbanistes peuvent devenir fanatiques. Robert Moses a commencé sa carrière avec le développement du Parkway System du New York. Il l’a terminée avec la destruction lamentable de Penn Station. Jean Drapeau nous a apporté le métro, l’Expo et la grandeur. Il nous a aussi apporté le réseau autoroutier, les dettes que l’on vient de radier et la turpitude. Peut-être devrions-nous laisser la tâche de planification au marché ; les spéculateurs fonciers et les promoteurs immobiliers peuvent-ils mieux réussir ? J’en doute. Même, les universités avec des instituts d’urbanisme ne semblent pas posséder les compétences à planifier hors d’un cadre théorique. À Montréal, l’on est confronté avec l’exemple de l’UQAM et son projet de l’Îlot Voyageur, presque abandonné à mi-chemin.

Peut-être la démocratie ne marche-t-elle pas pour les projets à grande échelle. Vraisemblablement, la planification à grande échelle ne sera jamais réussie. L’approche préférable à tous les enjeux demeurait de réfléchir à la problématique à une petite échelle, à une échelle humaine. Cela nous permet d’attaquer les problèmes à la source, au moment qu’ils sont maîtrisables, et d’avoir la capacité de prévoir le développement futur.

Vote or Die.

Quoi qu’il en soit, je voterai dans les élections municipales en novembre. Peut-être la démocratie n’est-elle pas la solution. Cependant, elle est la meilleure option que l’on a en ce moment.

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2 comments

  1. Bravo! Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas eu des commentaires. C’etait vraiment interessant. Merci.

  2. Intéressant! Mais, le texte mérite d’avoir les exemples démontrent pour expliquer les propos de l’auteur et un peu moins académique. Les enjeux de la planifications étant très complexes, ils sont souvent résumés pour les décideurs afin de faciliter leur prise de décisions. Il arrive souvent que la politique l’emporte sur certains enjeux moins intéressants.

    Ce qui me dérange le plus dans ce billet est que les exemples amenés en tout fin sont rapidement questionnés sans même les mettre dans leur contexte historique (1960, c’est pas 2010). Oui, l’urbanisme moderne a échoué. Cessons de taper sur ce clou et avanceons à autre chose. La planification urbaine vient, par son essence, à changer et transformer la ville. Il est donc inévitable que des pertes soient subites. C’est ça le changement, c’est ça le progrès, c’est ça le capitalisme!

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