Entendre l’histoire
Depuis quelques décennies, plusieurs églises de Montréal ont été reconverties afin de recevoir des fonctions plus rentables. Dans des circonstances de raréfaction des fidèles, donc des revenus, c’est souvent l’option la plus intéressante lorsque les choix restants sont la démolition ou l’abandon. Le débat que suscite la reconversion des églises est habituellement d’ordre patrimonial et religieux, avec ses questions inhérentes sur la conservation de l’intégrité architecturale et la place qui revient aux églises dans nos communautés. Un élément moins souvent soulevé dans ce contexte est celui de la modification du paysage sonore d’une paroisse suite au retrait des cloches.
Une église abandonnée, détruite ou recyclée devient aussi une église muette.
Lorsqu’une église est requalifiée en centre communautaire, en complexe de condos ou autre projet irréligieux, elle garde son enveloppe architecturale, ce qui témoigne de la période de construction, du style, du type de mécénat, etc. Le clocher, même s’il demeure dressé dans le paysage, devient pour sa part amputé d’une de ses vocations initiales. L’hôtel des cloches est alors celui des seuls pigeons et il ne laisse plus de traces de sa sonorité caractéristique.
Chaque cloche possède sa sonorité et son ensemble au clocher compose une harmonie typique, qui marque l’histoire sonore des quartiers. Les différentes paroisses se définissent aussi par une sonorité distincte et récurrente.
L’ubiquité sonore, le rythme de la vie
La cloche, instrument universel et symbole initial de communication de masse, peut résonner de l’aube au crépuscule, à tout moment de la semaine et de l’année. Le son des cloches saintes, qui autrefois rythmait le temps et l’appel des fidèles à la célébration, s’est fondu dans le paysage sonore pour n’en devenir qu’un artefact auditif. C’est aussi un son chargé de symboles, qui célèbre la naissance, l’amour, la mort et toutes les étapes intermédiaires de la vie que sont les cérémonies de baptême, de Noël, de communion… Il a en quelque sorte gagné une place historique, surtout grâce à sa fonction. La sonorité des cloches rythme notre vie et c’est probablement un des sons urbains les plus tolérés à l’égard de sa puissance.
À titre comparatif, le niveau moyen d’un son de cloche d’église est de 75 décibels, ce qui est jugé entre « fatiguant » et « pénible » par les tables de décibels et représente des risques pour la santé (lors de longue exposition) selon le gouvernement américain. Le carillon se compare à une rue achalandée, un bruit de klaxon ou des cris, des éléments habituellement peu recherchés dans un environnement. En fait, ce niveau de décibel est contraire à la loi, car il doit être réservé aux zonages industriels ou agricoles (pour une source sonore fixe).
Le tintement des cloches est probablement un des sons urbains récurrents qui jouit d’une des dernières immunités. Dans la définition de milieux de vie agréables, la réduction du bruit est un élément clé et la littérature à ce sujet est de plus en plus probante. La source sonore est primordiale, car elle détermine si le son est agressant et si l’on a le contrôle potentiel sur le générateur de bruit. Il suffit de se rappeler les épisodes d’intolérance des citoyens envers les bars à spectacles des arrondissements du Plateau et de Ville-Marie, les demandes exaucées de murs antibruit ou encore le déplacement d’une piste d’atterrissage. Le chant des oiseaux à l’aube, la présence d’une chute d’eau ou encore le tonnerre peuvent servir de contre-exemple.
Et le carillon d’une église?
Ceci suscite une question fort simple : quelle source sonore contemporaine aura l’immunité dont jouissent les clochers pour produire des sons de cette ampleur dans les milieux de vie?
2 comments
Avec toute la polution sonore actuelle et notre volonté de s’y détacher en mode solitaire, derrière les écouteurs de nos Iecteurs mp3, difficile de dire si ce patrimoine sonore pourra subsister. Faudra t-il créer un musée des sons? Mais même dans cet espoir de préservation, c’est l’enveloppe sonore et tout le reste qui manquera à l’expérience. Faudrait en effet être plus attentif à la question.
Article super intéressants, qui nous fait prendre conscience que la « texture » de l’expérience urbaine n’est pas seulement visuelle, mais aussi sonore. On peut parler de « soundscape », comme on parle de « landscape ».
Les sons, comme le paysage, les points de vue et les « marqueurs » (« landmarks », à la Lynch) participent de cette texture, tout comme les odeurs et mêmes sans doute certaines expériences sensorielles de type chaud-froid (passer devant une bouche d’aération du métro, par exemple, ou encore d’un stationnement à un endroit ombragé en pleine canicule).
Pour revenir aux sons, je me souviens que mon enfance (dans les années 1970) était ponctué d’autres sons, comme les cloches sonnant le début et la fin des cours et des récréations à l’école, et également les sifflets d’une usine à 2 km de chez moi, qui sonnait les fins de quarts pour les travailleurs.