Fish and chips, satay, curry, Laksa, Mee rebus, burritos, marrons chauds, poutine; tous des plats que j’aimerais bien déguster dans la rue avec vous. Cette pratique nous semble peut-être exotique, mais on dit que 2.5 milliards de personnes mangent de la cuisine de rue à travers le monde. Une personne sur quatre. Dans les pays en développement, le street food constitue parfois même jusqu’à 40 % de la diète hebdomadaire des habitants et est profondément ancré dans l’identité. Ce pan oublié de notre gastronomie gagne en popularité partout sur la planète. Et dans les villes où c’est interdit, les choses changent tranquillement: pressions et contournements à Chicago, projet pilote à Toronto et à Vancouver (où l’administration a littéralement cédé sous la pression populaire)… et pendant ce temps à Montréal? Quelques petites initiatives, mais rien d’officiel. Il y a certaines raisons connues pour cette stagnation, mais si on regarde la situation d’un angle plus constructif, je crois qu’il y en a une autre qu’on oublie : un ralliement désorganisé. Ce que j’entends par «approche systémique»? Une méthode revendicatrice plus globale qui permettrait d’aborder ce sujet complexe et ses ramifications de manière plus complète et convaincante.
Hier, aujourd’hui… demain ?
D’abord, pourquoi est-ce que c’est illégal? Ce l’est depuis 1947, principalement pour des raisons sanitaires. Pour votre bonne santé à tous. Est-ce que cet argument est toujours valide aujourd’hui (supposant qu’il l’était à l’époque)? Il ne semble pas. Pourquoi c’est encore illégal, donc? Hypothèses: une bureaucratie trop lourde et des associations protectionnistes qui affirment qu’il y a assez de restos à Montréal et qui sont donc contre une compétition plus enrichissante. Rajoutons à tout cela: des actions militantes trop décousues. Oui, il y a la mère non officielle des casseroles de rue, Marie-Claude Lortie, qui en parle à chaque deux mois dans La Presse. Il y aussi une petite pétition, un groupe Facebook, des discussions ici et là, etc. Les plus proactifs sont certainement les gens derrière Grumman 78, qui ont « taco-isé » l’Hôtel de ville en plus d’avoir provoqué des vagues médiatiques récemment avec l’événement « Juste pour nourrir », entre autres. Pour donner un aperçu de ce que ça pourrait être, on peut aussi compter sur quelques initiatives sur le domaine privé comme au nord du marché Atwater avec les Satay Brothers et dans le Vieux-Port avec MuvBox. Les enjeux liés à la bouffe de rue étant très, très nombreux, pourquoi ne pas trouver un moyen de rassembler tous les acteurs concernés de près et de loin et faire tout ça de manière concertée, centralisée et originale ? Une approche plus systémique pourrait aussi créer un momentum qui forcerait les autorités à se pencher sur le dossier. Un genre de Kony 2012 version bouffe de rue, mais en moins dramatique et sans réalisateur qui se fait arrêter. Ce n’est pas l’enthousiasme qui manque. Sinon, à moins qu’il y ait quelqu’un d’influent et de vraiment motivé par le dossier actuellement en poste à la Ville de Montréal, j’ai l’impression que la pression sur l’administration n’est pas suffisante pour faire réellement changer les choses.
Un contexte chaud, chaud, chaud
La cuisine de rue n’est peut-être pas dans les bouches des Montréalais, mais le sujet, lui, est sur toutes les lèvres. Et pas juste ici. On parle de ce mode de vie planétaire comme étant «l’apanage de la modernité alimentaire ». Les villes asiatiques sont les championnes en la matière. En Amérique du Nord, alors que certaines villes aux États-Unis comme New York et Portland ont élevé cette riche portion de leur paysage culinaire au rang d’attraction touristique, d’autres l’ont complètement interdite. Au Canada, le portrait est tout aussi inégal, mais beaucoup moins excitant. Mis à part certaines villes comme Victoria en Colombie-Britannique, les villes canadiennes limitent généralement la cuisine de rue à des mets préemballés ayant une faible valeur nutritionnelle: pretzels, popcorn, hot-dogs, etc.
Dans les villes où le street food est libre, l’enthousiasme est énorme. Le camion-resto Kogi BBQ à Los Angeles a, à lui seul, plus de 97 000 adeptes sur Twitter. Les restaurateurs de rues profitent de leur popularité et de la flexibilité de leur restaurant roulant pour révolutionner la relation avec leurs clients via les médias sociaux. « Vous préférez tous qu’on soit à tel coin de rue ce midi? See you there! ». Après le take-out, le roll-out.
Les « adversaires »
« Adversaire » numéro 1: les associations de restaurateurs. Les restaurants de rue sont souvent perçus comme étant des compétiteurs déloyaux en raison d’un plus faible coût d’exploitation de leurs installations (vrai ?). Cet aspect est certainement le plus problématique et le plus décrié. Le lobby contre eux est parfois très fort. On va même jusqu’à créer de fausses pancartes leur interdisant de stationner. Ceux qui sont «pour» affirment que les restaurateurs traditionnels devraient arrêter de dépenser de l’énergie à se battre contre le street food et se préoccuper davantage d’offrir de la nourriture qui vaut réellement le détour. Les gens n’arrêteront certainement pas d’aller au Toqué! à cause du camion au coin. «And if you can’t beat them, join them!» Aux États-Unis, certaines compagnies comme Taco Bell, Dairy Queen et Gold Star Chili utilisent les camions pour rejoindre d’autres consommateurs et se positionner différemment, d’autres aspirants restaurateurs voient cette stratégie comme une porte d’entrée et énormément de chefs très connus l’utilisent pour atteindre de nouvelles niches. Pied de cochon, version camion?
« Adversaire » numéro 2: la Ville de Montréal ? Cet extrait d’un article de Marie-Claude Lortie publié en 2009 en dit long :
Voici la réponse que la ville centre m’a donnée quand j’ai abordé le sujet (de la réglementation): ce sont les arrondissements qui délivrent les permis aux cantines mobiles, triporteurs de crèmes glacées et compagnie. Les permis sont octroyés à la pièce et dans le cadre de certains événements, notamment des festivals comme Juste pour rire. Comment? «Il faut leur demander, nous notre responsabilité, c’est d’inspecter», m’a répondu la chef de division de l’inspection des aliments, Christine Vézina, chez qui on m’a dirigée lorsque j’ai appelé au bureau du maire pour savoir à qui m’adresser.
Appel à l’arrondissement de Ville-Marie, le centre-ville. Réponse: «Vendre de la nourriture dans la rue est interdit depuis des lustres pour des questions de santé publique. On peut demander des ordonnances spéciales pour certains événements, mais sinon, il n’y en a pas», m’a expliqué Jacques-Alain Lavallée, porte-parole de l’arrondissement.
Question de Marie-Claude: Pourquoi c’est ainsi encore en 2009? Les temps ont changé…
Réponse de l’arrondissement: Il faudrait demander à la ville centre.
Marie-Claude comparait la situation à After Hours de Martin Scorsese. Moi, ça me fait penser à la maison qui rend fou dans Les Douze Travaux d’Astérix. Clairement, la Ville pourrait aussi être une alliée. On peut espérer que quelques acteurs influents joueront les bonnes cartes avec les bonnes personnes ou qu’un politicien choisira de partir en croisade afin d’en faire de la récupération politique. Mais pour ça, il faut encore les convaincre.
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One comment
Ce n’est pas juste ça… tu en vois beaucoup de ces camions en Europe? C’est dans notre sang latin ici au Québec, on ne mange pas de la bouffe “on the fly”. On prend le temps. On s’assoit avec des gens et on mange. On prend du vin. On discute, on rit fort, on jase.
Rien de cela n’est possible avec ces camions. Nous l’avons compris.