Une vue de la rue Paul Sauvé où plusieurs bungalows ont été remplacés par des cottages. Source : Guillaume St-Jean
Suite à l’annonce, le mois dernier de la liste annuelle des 10 sites menacés par l’organisme Héritage Montréal, de nombreux lecteurs, journalistes, et fort probablement des résidents de l’ancienne coopérative d’habitation de St-Léonard se sont sûrement demandé en quoi un ensemble de bungalows destinés à la classe moyenne et construits en série pouvaient être d’intérêt patrimonial, et ce, malgré le fait que plus de la moitié des constructions originelles aient été altérées ou démolies.
Dans la culture populaire, le terme patrimoine est encore souvent associé aux vieilles pierres et à la monumentalité. La notion de patrimoine, qui s’est passablement élargie à partir des années 1970, est toutefois beaucoup plus large. Ainsi, il n’est plus nécessaire qu’un édifice soit un jalon de première importance du point de vue de l’histoire de l’art, de l’architecture ou encore de l’urbanisme pour être d’intérêt patrimonial. Désormais, un bien peut acquérir une valeur patrimoniale s’il est imprégné d’un certain vécu, perceptible et observable.
À l’heure actuelle, le bungalow moyen est malheureusement et principalement encore analysé en fonction de la notion d’historicité. Il a donc du mal à s’imposer comme étant un élément patrimonial puisqu’il appartient à un passé récent et qu’il ne relève pas du caractère traditionnel de la plupart des édifices auxquels s’attache habituellement la majorité de la population. De plus, puisque l’appropriation des résidences qui se traduit par diverses modifications visant à singulariser chaque propriété individuelle constitue l’élément le plus caractéristique des quartiers de bungalows, l’idée générale de la conservation visant à restaurer un édifice dans son état originel pour le mettre en valeur ne peut donc s’appliquer à ce type de bâti.
Néanmoins, les bungalows et leurs quartiers constituent une part importante de notre héritage bâti et culturel. À l’heure actuelle près de 50 % du parc de logements au Québec est constitué de bungalows. Ces édifices sont imprégnés dudit vécu perceptible et observable puisqu’ils sont depuis plus d’un demi-siècle la représentation du mode de vie d’une importante part de la population et témoignent des valeurs, de l’appropriation du territoire, de l’art d’habiter ou encore des pratiques constructives des Québécois.
Dans le cas de la coopérative de St-Léonard, la valeur patrimoniale des lieux est notamment attribuable au fait que cet ensemble fut le premier développement qui transforma un secteur rural en celui d’une banlieue et que par sa taille, il fut le plus vaste ensemble résidentiel à avoir été réalisé au Québec selon un mode de gestion coopératif, un mouvement plutôt rare à Montréal. La coopérative est également la représentation d’un nouveau mode de vie fortement valorisé dans les années 1950 : posséder une maison en banlieue de Montréal. Son intérêt patrimonial n’est donc pas directement associé à l’architecture de l’un ou l’autre des différents modèles de bungalows qui la composent, mais plutôt a la totalité de l’ensemble construit et de la trame de rues qui dessert et réunit le tout. En tant qu’ensemble urbain, cette coopérative constitue un important témoin historique qui illustre de façon tangible une étape charnière du développement de Saint-Léonard.
En incluant la coopérative d’habitation de St-Léonard dans sa liste des sites menacés de 2013, Héritage Montréal a permis de faire sortir de l’ombre la menace qui pèse depuis quelques années sur cet ensemble urbain, en plus de favoriser une réflexion sur la conservation du patrimoine bâti du XXe siècle. La sauvegarde de ce qui subsiste de la coopérative ne dépend toutefois que d’une chose : la volonté d’agir des instances décisionnelles de l’arrondissement.
One comment
Je pense qu’il faut garder des exemples témoins; par contre, le fait que presque la moitié des logements au Québec soit constituée de bungalows est également un exemple du développement écocidaire et autocentrique qui règne depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale; le contraire d’une densité adéquate pour permettre l’essor de quartiers marchables, cyclables et bien desservis par les transports collectifs.