En 2005, une étude gouvernementale identifie Laval comme la ville où le taux d’appartenance des citoyens à leur communauté est le plus bas au Canada. Cette étude est réalisée quelques mois avant les élections municipales, qui reconduisent le maire sortant Gilles Vaillancourt pour un cinquième mandat. L’écrasante majorité de sa victoire contraste de manière inquiétante avec le taux de participation des Lavallois pour cette élection. Cette année-là , seulement 31 % d’entre eux se présentent aux urnes, c’est l’un des taux les plus faibles de la province. La suite est connue et représente l’épisode le plus sombre de l’histoire de Laval : développement louche, collusion, corruption, gangstérisme, mise sous tutelle, vaudeville, etc. Plusieurs se demandent comment cela a-t-il pu se produire, ou même qui a pu laisser cela se produire. La cour fournira probablement des pistes de réflexion, mais d’ici là , il semble incontournable de se demander: est-ce que l’indifférence des citoyens à l’endroit de leur ville a cautionné les pratiques politiques malsaines à Laval?
Une ville très jeune
Alors que Montréal et Québec ont respectivement 373 et 407 ans, Laval fête cette année ses 50 ans. Ville de Laval est créée dans les années soixante, suite à la fusion des 14 municipalités distinctes de l’île Jésus. Ces petites villes, séparées par des champs et des espaces boisés, ont été reliées par des développements résidentiels de faible densité, des centres commerciaux et des autoroutes. Le sentiment d’appartenance des citoyens, comme il est soulevé dans cet article, est probablement demeuré plus fort à leur quartier (donc aux anciennes villes) qu’à la créature gouvernementale qu’est l’île-cité actuelle.
Un développement dictatorial
La phase la plus importante du développement de Laval s’est effectuée sans plan concerté. Aucune consultation citoyenne d’envergure n’eut lieu à Laval depuis 1991 (sauf certaines consultations prévues par la loi). Plus de vingt ans sans consulter les citoyens. Une extrême centralisation des pouvoirs a permis au comité exécutif et à l’ex-maire de décider de tout, de la petite dépense jusqu’au grand projet d’aménagement. Et, sans véritable plan d’urbanisme, le libre arbitre de la tête dirigeante décidait des changements de zonage, des plans de développement et de la gestion de centaines de millions de dollars, à la manière d’une vieille dictature.
Cette extrême centralisation des pouvoirs a dépossédé l’appareil administratif de ses capacités d’action et de prise de décision. L’expertise professionnelle des fonctionnaires était dévalorisée, au profit des firmes de génie-conseil. Dans le troublant mémoire déposé en novembre dernier, la nouvelle administration lavalloise expose le triste stratagème avant de trancher : « c’est un euphémisme que de constater aujourd’hui à quel point les citoyens ont été bernés ».
Trop peu, trop tard
Pourtant, le 26 mai 2011, lors du dévoilement d’Évolucité, la nouvelle politique d’urbanisme de Laval, Gilles Vaillancourt débutait son discours ainsi : « J’annonce aujourd’hui un changement majeur dans la culture, la gestion et le développement de Laval ». Évolucité semble orchestrer un virage surprenant, en se fixant des objectifs dont « coordonner l’urbanisme durable à Laval et intégrer les citoyens et les partenaires dans la démarche ». Toutefois, les actions incluses dans ce plan semblent plus près d’un enrobage vert pour servir l’ultime lubie de Gilles Vaillancourt, soit le prolongement du métro et le développement des terrains du centre et au pourtour des stations, qu’un véritable plan pour toute l’île Jésus.
Coécrire l’avenir
La nouvelle administration a déployé et déploie des efforts sans précédent en termes de restructuration, de gouvernance et de transparence. Pour son 50e, Laval souhaite « inciter les citoyens à regarder vers l’avenir en les invitant à coécrire un nouveau chapitre de leur histoire ». La première étape notable de cette coécriture s’incarne par l’exercice Repensons Laval, un important chantier de consultation auquel les citoyens, les organisations locales et même les contacteurs sont invité à participer en personne et en ligne. De cet exercice émergera, entre autres, le nouveau plan stratégique 2015-2035 de la ville.
Durant les ateliers de consultation, animés par la firme Convercité, les priorités les plus cités par les participants sont l’augmentation des espaces verts, la protection des terres agricoles, un meilleur accès aux berges, une augmentation du transport collectif et actif, des commerces de proximité… C’est aux antipodes de ce qui s’est fait depuis vingt ans. Mais rien n’est gagné. Lors d’une activité de discussion (pour laquelle j’étais embauché comme animateur), un citoyen me mentionnait avec une douce ironie : « Vous voulez que l’on parle de l’avenir de Laval ? Regardez le boulevard de l’Avenir, il croise le boulevard du Souvenir avant de se terminer par un cul-de-sac ».
La faute à personne, la faute à tout le monde
Entre les agréables petites municipalités de l’île Jésus, une nouvelle ville s’est développée. Cette ville fut le terrain de jeu d’une poignée de décideurs réélus par automatisme, de contracteurs et de firmes de génie-conseil flirtant souvent avec le pouvoir. Les citoyens, pour leur part, jouissaient soit de leur quartier, soit d’accès autoroutiers directs vers la métropole, de centres industriels et commerciaux, ou, tout simplement du fait d’être propriétaire d’une demeure. Puis, Laval est devenue la troisième ville du Québec. Une grande ville, avec de grands problèmes.
Les citoyens de Laval ne sont pas directement responsables du sombre développement de leur ville, mais leur indifférence a fourni à un petit nombre des outils rêvés pour les flouer à répétition. La porte semble désormais ouverte à une nouvelle « culture de la consultation citoyenne » à Laval, pour reprendre les mots du maire Marc Demers. Aux citoyens maintenant de passer de l’indifférence à la différence.
Photos par Alexandre Campeau-Vallée